Nelli, petit bossu pâle et malingre, souffre-douleur de sa classe, grâce à son camarade Garrone, un grand coeur, est adopté par les autres
A LA GYMNASTIQUE
Garonne se trouvait hier dans le Cabinet du directeur, quand la mère du petit Nelli vint pour le faire dispenser des nouveaux exercices de gymnastique. Chaque parole lui coûtait un effort, et elle appuyait sa main sur la tête de son fils en disant au directeur :
- Il ne peut pas ...
Nelli se montrait très attristé d'être exclu du trapèze, de subir cette humiliation.
- Tu verras, maman, disait-il, je ferai comme les autres.
La mère le regardait en silence, avec pitié et douceur, puis elle dit avec une certaine hésitation : "je crains que ses compagnons ...." Elle voulait dire "..... ne se moquent de lui". Nelli répondit : "Cela ne me fait rien; j'ai Garrone. Il me suffit que lui ne rie pas de moi...."
On le laissa donc venir à la gymnastique. Le maître nous conduisit d'abord aux barres verticales, qui sont très hautes; il faut grimper jusqu'en haut, et ensuite se tenir droit sur la poutre transversale.
.... Arrive le tour de Garrone qui grimpa, tout en mangeant son pain, comme si de rien n'était; et je crois qu'il aurait été capable de porter quelqu'un sur ses épaules, tant il est fort, ce petit taureau.
Après Garrone, voilà Nelli. A peine le vit-on embrasser la barre de ses mains longues et frêles, qu'on se mit à rire et à chuchoter.
Mais Garrone croisa ses bras sur sa poitrine et lança autour de lui un regard qui promettait si clairement des taloches, que chacun se tut comme par enchantement.
Nelli commença à grimper avec beaucoup de peine; le pauvre petit avait le visage en feu, la sueur coulait sur son front.
Le maître lui dit : "Descendez ! "
Mais il s'obstinait, s'efforçait ... Je m'attendais d'un moment à l'autre à le voir dégringoler en bas, à demi mort. Je songeais que, si j'avais été à sa place et que ma mère m'eût vu, elle en aurait tant souffert ! et, en y pensant, je sentais que j'aimais plus encore mon pauvre camarade ! J'aurais donné je ne sais quoi pour qu'il réussît à monter jusqu'en haut; si j'avais pu le pousser sans qu'on le vît ! ...
Pendant ce temps, Derossi, Coretti et Garrone disaient :
- Monte, monte, Nelli, encore un peu de courage.
Nelli fit encore un violent effort, poussa un gémissement et se trouva à deux doigts de la poutre.
- Bravo ! cria-t-on. Courage ! encore une poussée.
Et voilà Nelli qui empoigne la poutre. On battit des mains.
- Bravo ! dit le maître, mais c'est assez, descendez !
Nelli n'écouta pas, il voulait monter dessus comme les autres. Après quelques efforts, il réussit à y poser les coudes, puis les genoux, et enfin les pieds; alors il s'y dressa debout, soufflant et triomphant, et nous regarda.
Nous l'applaudîmes de nouveau. Il jeta alors un coup d'oeil dans la rue. Je me tournai de ce côté, et, à travers les plantes qui couvrent la grille du jardin, je vis sa mère qui se promenait sur le trottoir, sans oser regarder.
Nelli descendit, et tout le monde lui fit la fête. Il était excité, animé, ses yeux brillaient, il semblait transformé.
Quand sa mère vint à sa rencontre à la sortie et lui demanda, un peu inquiète, en l'embrassant .
- Eh bien ! mon pauvre mignon, comment cela a-t-il été ?
Ses camarades répondirent pour lui :
- Parfaitement, il a très bien monté. Il a monté aussi bien que nous; il est fort, allez ! il est leste, il fait comme les autres ...
Il fallait voir la joie de la pauvre femme ! Elle voulut nous remercier, balbutia , serra la main à trois ou quatre d'entre nous, caressa Garrone et emmena son fils. Et nous les vîmes marcher vite en parlant et en gesticulant, tous deux contents comme nous ne les avions jamais vus encore.
Ed. de AMICIS ( Grands coeurs)
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